Le Songe d’une nuit d’été

Texte William Shakespeare – traduction François Regnault – version scénique et mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, avec la troupe du Théâtre de la Ville – au Théâtre de la Ville/Sarah Bernhardt.

© Nadége Le Lezec

Emmanuel Demarcy-Mota a côtoyé Skakespeare en 1998, en montant Peine d’amour perdue, déjà dans une traduction de François Regnault, et le spectacle a tourné pendant une dizaine d’années. Une partie de la troupe d’aujourd’hui était déjà dans la distribution. Pour le metteur en scène et directeur du Théâtre de la Ville, Shakespeare, dans Le Songe d’une nuit d’été « cherche à démasquer le langage comme endroit du possible mensonge, et la part d’inconscient qu’il exprime. » La nouvelle traduction de François Regnault, traduisant la prose et les vers de Shakespeare apporte des mots du quotidien, prenant de la distance avec la littérature.

Et il y a de la magie dans la pièce, thème qui intéresse particulièrement Emmanuel Demarcy-Mota qui a entre autres mis en scène récemment La Grande Magie et Les Fantômes de Naples, d’Eduardo De Filippo. Le Songe d’une nuit d’été est une comédie écrite autour de 1594, qui entremêle les fils de l’amour et du désamour par la puissance de philtres magiques dont le but est d’inverser le sens des destins. Shakespeare pénètre dans la mythologie grecque : nous sommes à Athènes et Thésée – ici interprété par une femme, Marie-France Alvarez – prépare ses noces avec Hippolyte.

© Nadége Le Lezec

C’est Obéron, le roi des fées (Philippe Demarle), qui règne en maître sur une nature féerique, assisté de l’espiègle Puck (interprété par un comédien, Edouard Eftimakis et deux comédiennes, Ilona Astoul et Mélissa Polonie) chargé de déposer l’elixir issu de la fleur d’amour-en-oisiveté dont la propriété est de déclencher, chez celui ou celle qui le reçoit, un violent amour envers le premier être vu au réveil. Titania, son élégante femme descendue du ciel (Valérie Dashwood), est sa première cible et il envoie Bottom le tisserand (Gérald Maillet) qu’il charge d’une tête d’âne, comme celui qu’elle verra en premier.

Obéron et Puck poursuivent leur œuvre, brouillant les cartes des unions et inversant les amours, car Puck de surcroit se trompe et sème le trouble. La nuit est de grande confusion et les couples d’origine se défont, garantissant étonnement et colères au réveil : Lysandre et Hermia (Jackee Toto et Sabrina Ouazani) dont le père, Égée (Stéphane Krähenbühl) s’opposait à l’union et qui les avait poussés à s’enfuir dans la forêt, Démétrius (Jauris Casanova), convoité par Égée pour sa fille et Héléna son amoureuse (Élodie Bouchez). Une série de quiproquos qui participe au comique de la pièce.

© Nadége Le Lezec

Les artisans-acteurs se métamorphosent en Pyrame et Thisbé pour la pièce éponyme, qu’ils vont interpréter, rendant un hommage au théâtre dans le théâtre et que François Regnault a traduit en alexandrins. Peter Quince, charpentier, la met en scène ; Thomas Snout, chaudronnier, tient le rôle du mur ; Il y a aussi l’arrivée de la lune et du lion. On entre dans le burlesque

La pièce offre un matériau idéal à la fantaisie et à l’invention d’espaces oniriques permettant de traduire le rêve, l’illusion, le détournement des sentiments et le vol de la conscience. La scénographie est flamboyante (Natacha le Guen de Kerneizon, Emmanuel Demarcy-Mota) tout juste inquiétante, composée d’arbres immenses et blancs qui s’élèvent au plus haut et dont on perd la cime. Lumières, costumes, tout contribue au trouble et à la magie, dans un univers dont la vision sur la relation de couple est sombre, car le doute s’installe et la croyance s’en trouve fortement ébranlée. À l’espace des fantasmes qu’est celui de la nuit, pleine de songes et de rêves, l’espace du désordre et de la réalité, le jour.

© Jean-Louis Fernandez

Emmanuel Demarcy-Mota utilise toute la ressource du Théâtre de la Ville rénové, les elfes sortent des trappes comme s’ils naissaient de la mousse et Titania vole dans les airs. Le metteur en scène mélange les genres et met en vis-à-vis le monde des amoureux, celui des fées et celui des artisans dans une tonalité crépusculaire digne de la mythologie celtique. La nature dans laquelle il nous plonge est fascination, les acteurs et actrices accompagnent le mouvement avec justesse et passion, nous faisant traverser l’effrayant et le burlesque dans un baroque flamboyant.

Brigitte Rémer, le 23 février 2024

Avec la troupe du Théâtre de la Ville Élodie Bouchez, Héléna – Sabrina Ouazani, Hermia – Jauris Casanova, Démétrius – Jackee Toto, Lysandre – Valérie Dashwood, Titania – Philippe Demarle, Obéron – Edouard Eftimakis, Puck, Hippolyte, Fée – Ilona Astoul,  Puck, Fée – Mélissa Polonie,  Puck, Fée – Gérald Maillet, Bottom – Sandra Faure, Quince – Gaëlle Guillou, Starveling, Fée – Ludovic Parfait Goma, Snout, Fée – Stéphane Krähenbühl, Flûte, Egée, Fée – Marie-France Alvarez, Thésée. Assistante à la mise en scène Julie Peigné, assistée de Judith Gottesman – scénographie Natacha le Guen de Kerneizon, Emmanuel Demarcy-Mota – lumières Christophe Lemaire, assisté de Thomas Falinower – costumes Fanny Brouste – musique Arman Méliès – vidéo Renaud Rubiano – son Flavien Gaudon – maquillage et coiffures Catherine Nicolas – accessoiristes Erik Jourdil – coiffes et couronnes Laetitia Mirault.

Du 16 janvier au 10 février 2024, du mardi au samedi 20h, dimanche 15h, auThéâtre de la Ville/Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet – tél. : 01 42 74 22 77 – site www. theatredelaville-paris.com